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L’avortement au Canada: légal mais inaccessible

Dernière mise à jour : 21 août 2023


À propos des auteurs

Kyra Keer est étudiante au programme de maîtrise en physiologie et en pharmacologie à l’Université Western Ontario et chercheuse au sein de l’organisme fédéral à but non lucratif missINFORMED. Kayla Benjamin, cofondatrice et responsable de la recherche chez missINFORMED, est titulaire d’une maîtrise en santé publique et en systèmes de santé, et poursuit actuellement un doctorat en recherche sur les services de santé à l’Institute of Health Policy, Management and Evaluation de l’Université de Toronto. Roma Dhamanaskar est directrice de la recherche chez missINFORMED. Elle est titulaire d’une maîtrise en bioéthique de l’Université de Pennsylvanie et termine son doctorat en politique de la santé à l’Université McMaster.

Nous nous exprimons sur cette question en tant que trois jeunes femmes cisgenres qui œuvrent dans les domaines de la science et de la politique de la santé, et qui travaillent comme bénévoles chez missINFORMED, un organisme à but non lucratif qui se consacre à la promotion de la santé sexuelle et des droits reproductifs des femmes et des personnes de diverses identités de genre au sein de ce qui est actuellement le Canada. Par conséquent, lorsque nous parlons des droits et de l’accès à l’avortement, nous ne le faisons pas de manière désintéressée; c’est une question qui a un impact direct sur notre santé, notre bien-être et notre relation avec notre corps.


----- La décision de la Cour suprême des États-Unis de renverser Roe v. Wade, une attaque directe contre les droits des femmes et des personnes 2SLGBTQQIA+ susceptibles de devenir enceintes aux États-Unis, a suscité de vives émotions de peur et de chagrin à travers le monde. Près de la moitié des États ont des lois qui ont le pouvoir de restreindre l’accès à l’avortement légal, 13 de ces États s’étant dotés de « lois de déclenchement » préexistantes pour interdire l’avortement, qui sont entrées en vigueur lorsque Roe v. Wade a été renversé. À présent, les femmes et la communauté 2SLGBTQQIA+ au Canada se demandent si elles pourraient subir les mêmes effets régressifs et anti-choix.


Nous pouvons être rassurés par le fait que l’avortement est décriminalisé au Canada, sans exigences légales, telles que le consentement parental, ni délai d’attente qui peuvent en prévenir l’accès. Karina Gould, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, a déclaré que les Américaines pourraient se rendre au Canada pour se faire avorter, ce qui risque d’entraîner un afflux de patientes américaines au pays.


Cependant, le Canada n’est pas le refuge en matière d’avortement qu’il semble être. La structure du système de soins de santé du Canada, la pénurie de prestataires d’avortement à travers le pays et la prévalence des organisations anti-choix peuvent en rendre l’accès difficile, voire impossible dans certains cas. Il revient alors aux patientes de trouver les soins dont elles ont besoin. L’avortement étant l’une des procédures médicales les plus courantes au Canada, cela est absolument inacceptable.


La structure du système de soins de santé du Canada, la pénurie de prestataires d’avortement à travers le pays et la prévalence des organisations anti-choix peuvent en rendre l’accès difficile, voire impossible dans certains cas.


Les personnes qui vivent en région rurale, en particulier les habitants des réserves, n’y ont presque pas accès. Les cliniques d’avortement au Canada sont concentrées le long de la frontière américaine, et seulement un hôpital sur six fournit des soins en matière d’avortement.


En conséquence, les habitantes des communautés rurales n’ont pas accès aux soins à proximité de chez elles et sont obligées de voyager pour recevoir les soins dont elles ont besoin. Cela est particulièrement vrai pour les provinces de l’Alberta, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Ontario, où 35 à 40 % des personnes vivent dans des collectivités éloignées ou dans des régions rurales.


Une étude canadienne de 2013 a révélé que 18,1 % des femmes parcouraient plus de 100 kilomètres pour accéder à l’avortement, les femmes autochtones étant trois fois plus susceptibles que les femmes blanches d’avoir parcouru cette distance. Cela désavantage celles qui n’ont pas les moyens financiers et logistiques de voyager et aggrave encore les problèmes d’accès inéquitable.


18,1 % des femmes ont parcouru plus de 100 kilomètres pour se faire avorter, les femmes autochtones étant trois fois plus susceptibles que les femmes blanches d’avoir parcouru cette distance.


Les directives provinciales contribuent également à cette inégalité. Près de 90 % de tous les avortements au Canada ont lieu avant 12 semaines de gestation. Pourtant, certaines personnes peuvent avoir besoin de soins en matière d’avortement au-delà de cette période de gestation, mais leur accès dépend de leur province d’origine. L’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, est la plus restrictive, l’avortement devenant inaccessible après 12 semaines de gestation.


Même si les taux d’avortement diminuent après cette période, il est essentiel que l’option demeure accessible. La décision de mettre fin à la grossesse plus tard peut être prise pour des raisons personnelles, des préoccupations médicales, ou des facteurs indépendants de la volonté de la personne, notamment des difficultés de transport, un accès limité à des tests de grossesse précis, ou des conditions domestiques dramatiques. Actuellement, les soins en matière d’avortement à 20 semaines de gestation ne sont disponibles qu’en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et au Québec. Après 24 semaines, les personnes sont forcées de quitter le pays pour trouver des soins sûrs, un luxe réservé à quelques privilégiées.


La couverture d’assurance, ou l’absence de couverture, affecte également l’accès à l’avortement. Le Nunavut, par exemple, n’offre pas de couverture pour les avortements médicaux, sauf dans certains cas, comme ceux prescrits dans les hôpitaux. De même, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, les personnes qui ont accès à des services chirurgicaux par l’entremise de cliniques d’avortement autonomes doivent régler les frais directement. L’avortement est l’une des 16 procédures médicales exemptées de la « transférabilité » en vertu de la Loi canadienne sur la santé (LCS).


La transférabilité permet de couvrir les services offerts en vertu des régimes provinciaux d’assurance-maladie, même à l’extérieur de la province d’origine de la personne. Pour ce qui est de l’avortement, cependant, les personnes forcées de se rendre hors de leur province d’origine pour accéder aux soins sont obligées de régler les frais pour un service qui devrait être couvert par le régime d’assurance-maladie.


À la question de l’accès inéquitable à l’avortement s’ajoutent les centres de grossesse de crise (CGC) non réglementés. Les CGC sont des loups anti-choix déguisés en agneaux. Ils se présentent comme des ressources pour les personnes ayant une grossesse non planifiée, offrant du soutien et des conseils. Cependant, ils trompent leurs clientes avec de la désinformation sur l’avortement, ou d’autres options qui peuvent retarder ou interférer avec leur capacité à accéder aux soins dont elles ont besoin.


Les CGC sont beaucoup plus nombreux que les prestataires de soins en matière d’avortement au Canada. En Ontario seulement, il existe 77 CGC actifs, mais seulement 38 prestataires d’avortement. Dans l’ensemble, au Canada, il existe 165 CGC, comparativement à 147 prestataires d’avortement. Cela signifie qu’une personne enceinte contre sa volonté cherchant à se faire avorter est plus susceptible de trouver un CGC qu’un prestataire d’avortement pour obtenir des informations. Compte tenu des obstacles géographiques et gestationnels en matière de soins, le temps devient crucial pour toute personne enceinte qui veut exercer le droit de choisir.


Il est troublant de constater que, dans un pays où l’avortement est légal et (en majeure partie) financé par l’État, nous sommes toujours confrontés à d’énormes obstacles pour obtenir des soins. Dès lors, comment pouvons-nous aller de l’avant pour en améliorer l’accès au Canada? Commençons par le financement. Pourquoi nous, membres d’un organisme à but non lucratif pro-choix, axé sur l’éducation fondée sur des données probantes, sommes-nous en concurrence pour le financement avec des groupes anti-choix tels que les CGC? Nous avons entendu des promesses qui font partie de la plateforme libérale en 2021 pour empêcher les groupes anti-choix et les CGC de se voir attribuer le statut d’organisme de bienfaisance, mais elles n’ont pas été tenues à ce jour.


Une recommandation consisterait à ne pas limiter les organismes pouvant obtenir le statut de « bienfaisance », mais plutôt de restreindre les types d’organismes de bienfaisance qui peuvent recevoir des dons et des exemptions fiscales du point de vue des valeurs. Les groupes religieux axés sur des questions de bienfaisance pourraient encore recevoir du financement, mais ceux qui imposent des croyances religieuses ne le pourraient pas.


Nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir annoncé un financement de 3,5 millions de dollars pour Action Canada et la Fédération nationale de l’avortement du Canada depuis que Roe v. Wade a été renversé. Continuons à nous appuyer sur ces mesures progressives. Le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, doit envisager le financement de plus petites organisations communautaires, pour aider à améliorer l’accès à l’avortement et à l’éducation dans les régions.


Cependant, le financement ne constitue qu’une seule facette du problème. Nous exhortons également les gouvernements fédéral et provinciaux à traiter l’avortement comme la procédure médicale nécessaire qu’elle constitue, en incluant obligatoirement l’avortement dans la LCS. Toutes les provinces et tous les territoires ont considéré l’avortement comme une procédure médicale nécessaire, ce qui signifie qu’il relève actuellement de la définition élargie des « services de santé assurés » de la LCS.


Pour que les provinces et les territoires reçoivent le financement intégral par l’entremise du Transfert canadien en matière de santé, ils doivent satisfaire aux critères et aux conditions de la LCS pour tous les services de santé assurés, comme le financement intégral et l’accessibilité. Cependant, comme nous l’avons souligné, ainsi que d’innombrables autres personnes, l’avortement n’est pas accessible. Nos gouvernements nous laissent tomber.


Certaines provinces ne financent pas les avortements pratiqués en dehors des hôpitaux, et d’autres forcent les patientes à payer pour des services dans des cliniques privées ou à payer des frais additionnels pour obtenir un avortement. Il s’agit de violations de la LCS, en vertu desquelles le gouvernement fédéral a l’obligation d’intervenir.


Nous devons exhorter les représentants provinciaux et fédéraux à veiller au respect de la LCS et de s’attaquer aux obstacles importants à l’avortement au Canada. Le financement doit être amélioré pour couvrir tous les coûts associés à l’accès aux services en matière d’avortement. Le champ de pratique des professionnels de la santé, comme les infirmières et les sages-femmes, pourrait également être élargi pour proposer des services d’avortement.


Pour obliger les provinces à rendre des comptes, le gouvernement fédéral doit imposer des restrictions plus sévères en matière de financement à celles qui ne prennent pas de mesures concrètes pour améliorer l’accès à l’avortement. La décision de pénaliser le Nouveau-Brunswick en retenant un peu plus de 140 000 $ en transferts de soins de santé ne suffit pas.


Le Canada se considère comme un refuge pour celles qui fuient les implications de Roe v. Wade aux États-Unis. Cependant, on s’inquiète toujours du fait que toutes les femmes et tous les membres de la communauté 2SLGBTQQIA+ ne bénéficient pas d’un accès égal à l’avortement, en particulier si elles vivent dans des régions rurales ou éloignées du Canada. Il est temps que nos gouvernements reconnaissent que, sans accès équitable, l’avortement est un droit réservé uniquement à quelques privilégiées. (Remarque : Cet article a été initialement publié dans Policy Options le 18 août 2022.)

Les auteurs tiennent également à remercier la présidente consultative de missINFORMED, Nipa Chauhan, qui a soutenu cet article en tant que rédactrice en chef. Chauhan est titulaire d’une maîtrise en sciences de la santé en bioéthique de l’Université de Toronto et travaille à l’Hôpital Mount Sinai en tant que bioéthicienne.


Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire notre article ! Nous espérons que vous avez apprécié les efforts déployés pour vous le présenter aujourd’hui. En tant que petit organisme à but non-lucratif, nous dépendons fortement de dons généreux pour nous aider à rester à flot. Nous vous invitons à faire un don pour nous aider à fournir régulièrement des informations sur la santé aux jeunes de tout le Canada. Chaque don a un impact !




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